La directive européenne 2023/970 du 10 mai 2023 marque une évolution majeure dans la lutte pour l’égalité salariale entre les femmes et les hommes, imposant une transparence accrue des rémunérations. La France, comme tous les États membres de l’UE, a jusqu’au 7 juin 2026 pour transposer ces nouvelles dispositions dans son droit national. Cette initiative représente une véritable révolution dans un pays où la question des salaires a longtemps été considérée comme taboue
Contexte et objectifs de la directive
Le constat est clair : malgré des décennies de législation, les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes persistent au sein de l’Union européenne, atteignant 13 % en 2020, avec des variations notables entre les États membres. En France, par exemple, cet écart est de 14,2 % dans le secteur privé à temps de travail équivalent, et de 3,8 % pour un même emploi dans le même établissement à temps plein. Ces inégalités sont multifactorielles, incluant la ségrégation professionnelle, le « plafond de verre », et un manque de transparence sur les politiques de rémunération.
La directive 2023/970, qui s’inscrit dans la stratégie de l’UE pour l’égalité entre les hommes et les femmes 2020-2025, vise à:
- Renforcer l’application du principe d’égalité de rémunération pour un même travail ou un travail de même valeur.
- Accroître la transparence des systèmes de rémunération pour rendre visibles les écarts et permettre leur correction.
- Donner aux travailleurs et aux candidats un droit à l’information sur les niveaux de rémunération et les critères d’évolution salariale.
- Faciliter les voies de recours pour les victimes de discrimination salariale, notamment par l’inversion de la charge de la preuve.
- Impliquer les partenaires sociaux dans la mise en œuvre et le suivi des politiques d’égalité salariale.
Principales mesures et conséquences pour les entreprises
La transposition de cette directive entraînera des changements profonds dans les pratiques RH. Voici les points clés à anticiper :
Transparence dès le recrutement (article 5)
Les employeurs devront indiquer dans les offres d’emploi ou avant le premier entretien la rémunération initiale ou une fourchette de rémunération pour le poste concerné. Les mentions évasives comme « salaire selon profil » seront proscrites.
Il sera interdit de demander aux candidats leur historique salarial (rémunération antérieure).
Les offres d’emploi et les dénominations de postes devront être non sexistes.
Droit à l’information pour les salariés (articles 6 et 7)
Les employeurs devront mettre à disposition de leurs salariés les critères objectifs et non sexistes utilisés pour déterminer la rémunération, les niveaux de rémunération et leur progression.
Tout travailleur aura le droit de demander et de recevoir par écrit des informations sur son niveau de rémunération individuel et sur les niveaux de rémunération moyens, ventilés par sexe, pour les catégories de travailleurs effectuant le même travail ou un travail de même valeur.
L’employeur devra répondre à ces demandes dans un délai raisonnable, au plus tard dans les deux mois.
Les employeurs devront informer annuellement les salariés de ce droit et des démarches à suivre pour l’exercer.
Les clauses de secret salarial seront interdites, permettant aux travailleurs de divulguer leur rémunération aux fins de l’application du principe d’égalité.
Communication de données sur l’écart de rémunération (article 9)
Les entreprises d’au moins 100 salariés auront l’obligation de communiquer régulièrement des données sur les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes.
Les données à communiquer incluent l’écart de rémunération global, l’écart sur les composantes variables/complémentaires, l’écart médian, la proportion de femmes/hommes bénéficiant de ces composantes, la proportion de femmes/hommes dans chaque quartile (répartition des salaires du plus bas au plus élevé), et l’écart par catégories de travailleurs.
Le calendrier de communication varie selon la taille de l’entreprise :
- 250 salariés et plus : Annuellement, à partir du 7 juin 2027
- 150 à 249 salariés : Tous les trois ans, à partir du 7 juin 2027
- 100 à 149 salariés : Tous les trois ans, à partir du 7 juin 2031
Le droit français, avec son Index Égalité Professionnelle existant pour les entreprises de 50 salariés et plus, devra évoluer pour intégrer ces nouvelles exigences, probablement en adoptant sept indicateurs, dont six pourraient être automatisés via la DSN (Déclaration Sociale Nominative). Les entreprises de 50 à moins de 100 salariés resteront concernées par un dispositif allégé.
Obligation de réagir au-delà de 5 % d’écart (article 10)
Les entreprises soumises à l’obligation de communication de données devront procéder à une évaluation conjointe des rémunérations avec les représentants du personnel si :
- les données révèlent une différence injustifiée par des critères objectifs non sexistes de niveau de rémunération moyen d’au moins 5 % entre femmes et hommes pour une catégorie de travailleurs
- et que l’employeur n’y a pas remédié dans un délai de six mois
Voies de recours et sanctions renforcées
La directive renforce considérablement les mécanismes d’application du droit:
- Inversion de la charge de la preuve (article 18)
- Droit à indemnisation intégrale (article 16)
- Sanctions dissuasives (article 23)
- Protection contre les représailles (article 25)