Le mode de versement du salaire en France, traditionnellement effectué une fois par mois, pourrait connaître une évolution majeure. Face aux difficultés financières rencontrées par de nombreux salariés et à une aspiration croissante à plus de flexibilité, une proposition de loi vise à assouplir l’accès à l’acompte sur salaire, ouvrant potentiellement la voie à des versements hebdomadaires.
Qu’est-ce qu’un acompte sur salaire ?
Un acompte sur salaire est le versement d’une partie de la rémunération d’un salarié en contrepartie du travail déjà effectué, mais avant la date de paie habituelle. Par exemple, recevoir un acompte le 15 du mois alors que le salaire est normalement versé à la fin du mois est un acompte sur salaire.
Règles actuelles de l’acompte sur salaire
En l’état actuel du droit, tout salarié mensualisé peut demander un acompte sur salaire. Ce droit est inscrit dans l’article L3242-1 du Code du travail. L’employeur a l’obligation de verser cet acompte à la demande du salarié, qu’il soit en CDI ou CDD, à temps plein ou à temps partiel. Pour les autres salariés (hors VRP), il faut se référer aux accords d’entreprises ou usages.
Le dispositif actuel est cependant strictement encadré. La loi prévoit que le salarié a droit à un acompte le 15 du mois correspondant à la moitié de la rémunération mensuelle. L’employeur ne peut refuser cette demande si elle est formulée à partir du 15 du mois en cours et ne dépasse pas la moitié de la rémunération mensuelle pour le travail déjà effectué. Actuellement, un salarié mensualisé est en droit de demander un acompte une seule fois par mois. Si un salarié demande un second acompte dans le même mois après avoir obtenu le premier, l’employeur peut le refuser. Aucune justification n’est requise de la part du salarié pour sa première demande d’acompte.
Le montant de l’acompte doit correspondre à la rémunération de la période de travail déjà effectuée au moment du paiement. Pour le calculer, on peut utiliser la méthode du trentième (salaire brut mensuel divisé par 30 multiplié par le nombre de jours travaillés) ou la méthode des heures travaillées réelles (taux horaire multiplié par les heures effectuées). Il est conseillé de déduire environ 25% de cotisations salariales pour obtenir le montant net de l’acompte à verser.
Malgré ce droit existant, peu de Français y recourent.
Une proposition de loi pour plus de souplesse
C’est dans ce contexte qu’une proposition de loi, portée par le député Ensemble pour la République de Paris, Jean Laussucq, doit être déposée à l’Assemblée nationale d’ici mi-mai 2025. L’objectif principal de cette mesure est d’apporter davantage de souplesse dans le versement de l’acompte sur salaire.
Le texte prévoit de permettre le fractionnement du paiement des salaires, à la demande du salarié. Concrètement, cela pourrait signifier la possibilité pour les salariés d’obtenir plusieurs acomptes dans le mois. Le salarié serait autorisé à demander à être payé chaque semaine (par exemple, les 7, 14 et 21 du mois), ou de ne toucher que des acomptes partiels correspondant à une partie de leurs heures déjà travaillées. La limite resterait fixée à la moitié du salaire mensuel pour le travail effectué.
Quels objectifs sont visés avec la possibilité d’un acompte hebdomadaire ?
La motivation derrière cette proposition est d’aider les salariés à faire face aux coups durs, aux imprévus ou simplement à mieux gérer leur budget en leur permettant de disposer plus rapidement de l’argent qu’ils ont déjà gagné. L’objectif est aussi de limiter le recours aux découverts bancaires, aux crédits à la consommation et aux frais bancaires (agios), qui représentent environ 7 milliards d’euros par an pour les Français. Selon une étude CSA Research, un Français sur cinq est à découvert bancaire chaque mois ou presque.
Cette proposition de loi répond également à une attente forte des salariés. Selon un sondage OpinionWay pour Stairwage (une solution de versement de salaire à la demande), publié le 5 mai 2025, 63% des salariés français sont favorables à un versement salarial plus fréquent que la mensualisation. Ce taux atteint même 75% chez les moins de 35 ans. Yann Le Floc’h, PDG de Stairwage, estime qu’il n’est pas juste que les salariés « fassent crédit 30 jours de travail à leur employeur ».
En aucun cas, la proposition de loi de Jean Laussucq ne remet pas en question la mensualisation en tant que norme, qui a été instaurée en 1978 à la demande des syndicats pour lisser la rémunération et apporter plus de sécurité et de dignité aux salariés. Il s’agit plutôt de flexibiliser l’accès à l’acompte.
Implications pour les employeurs et défis à relever
Si cette loi était adoptée, elle entraînerait des conséquences significatives pour les entreprises, notamment pour les services des ressources humaines. Selon Bernard Cohen-Hadad, président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) Paris Île-de-France, une telle réforme impliquerait des difficultés de gestion, l’acquisition de logiciels adaptés, et des contrôles supplémentaires, générant des frais de gestion.
Les équipes RH devraient s’adapter à la multiplication potentielle des traitements de paie, ajuster les logiciels de gestion, renforcer la surveillance des erreurs de versement et mettre à jour les pratiques contractuelles. Les PME, souvent moins bien outillées technologiquement qu’un cabinet spécialisé dans les paies, pourraient se trouver particulièrement fragilisées par d’éventuels manques de trésorerie si leurs encaissements ne suivent pas le rythme des décaissements salariaux plus fréquents. Certains prestataires proposent déjà des solutions de gestion d’acomptes pour aider les entreprises dans cette démarche.
Malgré ces défis, le dialogue sur ce sujet semble ouvert, notamment si cela répond à une attente des collaborateurs. L’assouplissement de l’acompte est perçu par certains comme une avancée sociale et une mesure de défense du pouvoir d’achat, permettant notamment d’éviter des frais inutiles pour les salariés en difficulté.
La proposition de loi portée par Jean Laussucq reflète une volonté de moderniser et de flexibiliser le mode de versement des salaires en France. En offrant la possibilité de percevoir son salaire plus fréquemment, elle vise à répondre aux besoins financiers actuels des salariés et à réduire les coûts liés aux découverts bancaires. Cependant, sa mise en œuvre nécessiterait des adaptations importantes pour les entreprises, soulevant des questions pratiques et organisationnelles, notamment en matière de gestion de la paie et de trésorerie.